La cession gratuite des droits d’auteur et des droits voisins : soyez vigilants !

par | 24 octobre 2023 | Général

Mise à jour de l’article publié le 24 mars 2022

La cession gratuite de droits d’auteur ou de droits voisins doit respecter certaines règles pour être valable.
À défaut elle peut être jugée nulle.
Le Tribunal judiciaire de Paris l’avait rappelé dans un jugement rendu le 8 février 2022 que j’avais déjà commenté ici.
Ce même tribunal confirme cette décision dans un jugement du 12 juillet 2023. Il apporte également des précisions concernant les cessions gratuites faites aux associations.

1. Le contexte

L’affaire concerne un ancien militaire de l’armée russe qui a participé à l’invasion de l’Ukraine. Rapatrié en Russie, il a publié sur internet un témoignage autobiographique intitulé « Zov ».
Il a ensuite cédé par contrat, à titre gratuit et exclusif, à une association agissant pour la défense des droits fondamentaux en Russie, l’intégralité de ses droits d’auteur.
Cette association a, elle-même, un peu plus tard, conclu un contrat d’édition avec Albin Michel pour la publication sous forme imprimée et digitale de cette oeuvre.
L’auteur a ensuite agi en nullité du contrat de cession de droits conclu avec l’association.

2. L’analyse du Tribunal

La capacité de l’association à recevoir des dons manuels

Rappelons que toute association déclarée et publiée peut sans autorisation et sans acte notarié recevoir un don d’un bien de la main à la main (don manuel)  : par exemple de l’argent, des ordinateurs, des meubles.
Mais concernant la cession gratuite de droits d’auteur, le Tribunal précise qu’il s’agit non pas un don manuel mais d’une libéralité ; plus précisément, une donation entre vifs dont le régime légal s’impose.

L’incapacité de l’association à recevoir des libéralités

Le Tribunal relève en premier lieu que l’association n’avait pas la capacité juridique pour recevoir un don autre qu’un don manuel.
En effet, pour pouvoir bénéficier de libéralités (ou « donations entre vifs »), une association doit être :
– soit reconnue d’utilité publique
– soit d’intérêt général déclarée depuis au moins trois ans et avoir un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique
– soit soumise au droit local d’Alsace-Moselle.

Ce n’était pas le cas de l’association concernée par cette action.

L’exigence d’un acte notarié pour les donations entre vifs

Le Tribunal indique ensuite que l’article 931 du Code civil exige qu’une donation entre vifs soit conclue par acte notarié. Cette obligation s’applique aux associations qui ont la capacité de recevoir des libéralités. Elle s’applique aussi à toute société à laquelle vous souhaiteriez céder gratuitement vos droits (label, société d’édition, producteur audiovisuel…).

Une condition supplémentaire pour les cessions de droits d’auteur

Pour les cessions de droits d’auteur, l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle s’applique impérativement. Doivent figurer dans le contrat de cession une mention distincte pour chaque droit cédé et la délimitation précise du domaine d’exploitation. A défaut, le contrat est nul.

3. La nullité du contrat

Le Tribunal prononce ainsi la nullité du contrat de cession de droits à l’association.
Résumons son raisonnement : la cession à titre gratuit est une donation entre vifs ; l’association n’avait pas la capacité pour recevoir une libéralité ; le contrat entre l’auteur et l’association n’avait pas été conclu devant notaire ; le contrat ne respectait pas les dispositions de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle.
Autant de causes rendant le contrat nul.
Le contrat est donc réputé n’avoir jamais existé. Par conséquent, les contrats d’édition signés par l’association sont également nuls car ils sont affectés par la nullité du contrat d’origine.
Précisons que pour faire reconnaître cette nullité des contrats d’édition, il faut que les éditeurs soient également assignés devant le tribunal.

Pour diverses raisons, un auteur ou un artiste peut souhaiter céder gratuitement ses droits. Il est alors nécessaire de se demander si cela peut être fait sans risques.