Peut-on abuser du droit moral ?

par | 10 avril 2024 | Art & Design

Un jugement du tribunal judiciaire de Paris du 28 février 2024 nous éclaire sur ce point.

Les faits

Une association de lecteurs d’un écrivain décédé co-édite une revue annuelle sous forme de cahiers consacrés à l’auteur.

L’épouse de l’auteur, suite au décès de celui-ci, exerce le droit moral sur les œuvres en vertu de l’article L. 121-2 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle.

Elle refuse la publication dans la revue annuelle 2023 de 11 photographies prises par son mari.

L’association assigne l’épouse en injonction d’autorisation de reproduction et en dommages et intérêts.

Un droit susceptible d’abus

 

Le droit de divulgation est un des éléments du droit moral (avec le droit de paternité et le droit au respect de l’œuvre). Le droit de divulguer une œuvre appartient à son auteur. Il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci.

Mais le code de la propriété intellectuelle prévoit que ce droit est susceptible d’abus. En cas d’abus notoire, le tribunal judiciaire peut ordonner toute mesure appropriée pour le faire cesser (article L. 121-3).

L’abus caractérisé

 

L’association prétend que l’épouse de l’auteur abuse de son droit moral.

L’épouse, elle, affirme qu’elle ne fait qu’appliquer les exigences que l’auteur avait exprimées quant à la publication de ses photos, notamment quant au format, à la qualité du tirage et à leur composition dans l’ouvrage.

Pourtant, le tribunal lui donne tort et constate l’abus du droit moral.

Il rappelle le principe : ce droit doit être mis au service de l’œuvre en accord avec la personnalité et la volonté de l’auteur telle que révélée et exprimée de son vivant.

Or, les 11 photographies avaient été éditées dans un ouvrage publié 30 ans auparavant. Il avait donc déjà accepté de les publier.

De plus, l’auteur avait autorisé trois autres éditions des photographies tirées de l’ouvrage précédent alors qu’elles étaient différentes dans leur composition et leur cadrage.

Les pratiques antérieures de l’auteur quant à la divulgation de ses œuvres sont déterminantes. Elles ne permettaient donc pas à son épouse d’invoquer le droit moral pour interdire leur publication.

Elle est par conséquent condamnée à des dommages intérêts en raison du préjudice causé à l’association par l’abus du doit moral.

Le droit moral n’est donc pas absolu. Il doit s’exercer avec discernement et de manière cohérente.