Ma chanson est dénaturée : puis-je faire jouer mon droit moral ?

par | 15 mai 2023 | Musique

1. C’est quoi le droit moral pour un compositeur ou un parolier ?

Le droit moral est un droit qui protège l’auteur (auteur de textes et/ou de partitions musicales).
Le droit moral est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Cela signifie que l’auteur ne peut pas renoncer à ses droits moraux ni les céder à une autre personne. De plus, ces droits ne s’éteignent pas avec le temps.

Le droit moral comprend plusieurs prérogatives :

  • le droit de divulgation qui donne à l’auteur le pouvoir de décider si et quand son œuvre sera rendue publique,
  • le droit au respect de l’œuvre qui permet à l’auteur de s’opposer à toute modification ou dénaturation de son œuvre,
  • le droit au respect du nom qui donne à l’auteur le pouvoir d’exiger que son nom soit associé à son œuvre,
  • le droit de repentir ou de retrait qui permet à l’auteur, dans certaines conditions, de retirer son œuvre du commerce ou d’en cesser l’exploitation.

En somme, le droit moral protège l’intégrité et la réputation de l’auteur ou du compositeur ainsi que celle de son œuvre. Ces droits sont fondamentaux pour garantir la liberté créatrice des auteurs et compositeurs d’œuvres musicales.

2. Dans quels cas le droit moral ne peut-il pas être invoqué ?

Trois jurisprudences récentes donnent des exemples d’acceptation ou de refus du droit moral par les tribunaux. Elles concernent principalement le droit au respect de l’œuvre.

Premier cas :

La Cour de Cassation, dans un arrêt du 8 février 2023, a considéré que le seul fait que le texte soit séparé de la musique d’une chanson ne porte pas nécessairement atteinte au droit moral de l’auteur. Il s’agissait d’une société d’édition qui avait publié un ouvrage biographique reproduisant les extraits de 131 chansons dont Jean Ferrat était l’auteur ou le compositeur. L’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat avait intenté une action en contrefaçon sur le fondement du droit moral. La cour de cassation a rejeté sa demande. Elle considère que le texte et la musique d’une chanson relèvent de genres différents et dissociables. Ils peuvent donc être séparés l’un de l’autre.
Le fait de séparer le texte de la musique peut cependant porter atteinte au droit moral de l’auteur. Tel est le cas si cela altère l’intégrité de l’œuvre ou porte atteinte à la réputation de l’auteur.
Tout dépend des circonstances. Dans ce cas, l’auteur du livre faisait pour chaque extrait une analyse critique permettant au lecteur de comprendre l’œuvre et les engagements de l’artiste. Cette utilisation était donc justifiée par l’exception de courte citation. Cette exception est prévue par l’article L. 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle. Elle autorise les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées.

Deuxième cas :

Un DJ avait repris un extrait de l’œuvre musicale « The Bridge is Broken » du groupe « The DØ » pour son propre titre intitulé « Good Bye ». Les deux auteurs invoquaient une violation de leurs droits moraux dans le cadre d’une action en contrefaçon contre le DJ. Mais la Cour de Cassation, dans son arrêt rendu également le 8 février 2023, a estimé que l’extrait de l’œuvre musicale reprise par le DJ n’était pas un gimmick ni un élément déterminant permettant de caractériser la personnalité des auteurs. En l’absence de caractère d’originalité de l’extrait musical repris par le DJ, leur action a été rejetée.

Troisième cas :

Une société commercialisait des boîtes à musique incorporant les morceaux de Charles Trenet « La Mer », « Y a d’la joie », « Je chante » et « Douce France ». Cette société avait obtenu les autorisations de la Sacem et de l’éditeur des œuvres. Mais le légataire universel de Charles Trenet avait, par la suite, poursuivi la société pour violation de son droit moral d’auteur. La Cour de Cassation, dans son arrêt du 8 mars 2023, lui a donné raison. Elle a estimé que les mélodies produites par les boîtes à musiques étaient un arrangement musical dénué de paroles avec une simplification extrême de la mélodie originale. De plus, les mélodies variaient en fonction de la vitesse jusqu’à devenir inaudibles. Les œuvres avaient été banalisées et transformées : il ne s’agissait donc plus d’une simple reproduction fragmentée pour laquelle les autorisations avaient été données.

Comme on le voit, chaque cas est particulier et les décisions sont variables. Avant d’emprunter un extrait d’une œuvre musicale ou si vous voulez agir pour faire respecter votre droit moral, il est prudent et nécessaire de se faire assister pour une analyse juridique de votre situation.